01 Juil 2022
Depuis plusieurs mois, le coût des matières premières connait une augmentation sans précédent. On assiste également à des pénuries. Selon une enquête réalisée en décembre 2021, 92 % des adhérents de la Fédération se disent impactés par les hausses de prix. Seulement 18 % des répondants indiquent répercuter ces hausses de prix intégralement sur les
Delphine CUYNET
Les secteurs de l'IT et des télécoms touchés par la pénurie de semi-conducteurs
Depuis trois ans, le monde traverse une pénurie de semi-conducteurs touchant les secteurs de l’automobile, de l’électronique, de l’informatique, et bien d’autres. La pandémie qui a accéléré la généralisation du télétravail et donc la forte demande pour les PC, la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, l’essor des objets connectés, des smartphones, de l’intelligence artificielle ou encore des véhicules intelligents ont généré une importante pénurie de puces informatiques. De plus, la guerre qui oppose la Russie à l'Ukraine est susceptible d'aggraver les difficultés rencontrées par la chaîne d'approvisionnement. On sait que l'Ukraine abrite en effet un important fournisseur de néon, substance utilisée pour alimenter les lasers chargés de graver les puces informatiques. Située à Odessa, la société Cryoin, qui assure plus de la moitié de la production mondiale de gaz néon est actuellement paralysée par l’invasion russe.
Le marché du PC pâtit de la situation. On enregistre en effet une baisse des ventes de 5,1 % au cours du premier trimestre 2022, après deux années de croissance.
Cisco prévient que ses ventes vont souffrir d’une baisse significative. Ainsi, d’ici au 31 juillet, son CA devrait chuter de 1 % à 5,5 % en raison d’une résurgence du Covid-19 en Chine, de nouvelles fermetures d’usines, d’entrepôts et de Shanghaï, plus grand port commercial du pays, alors que le marché s’attendait une croissance de 6 %. D’après Scott Herren, Directeur financier de l’équipementier, il manque actuellement 350 composants critiques pour produire de nombreux produits Cisco.
Une vision peu optimiste pour les mois à venir
La demande ne faiblit pas, ce qui provoque une saturation dans la production de semiconducteurs qui, selon certains, devrait se poursuivre jusqu’à fin 2023. En février, Foxconn avait annoncé qu’il commençait à ressentir une amélioration mais ne prévoyait pas de retour à la normale pour cette année, d’autant plus que la supply chain en Chine ne cesse de jouer aux montagnes russes en fonction des confinements décidés par l’administration locale. ASML, un acteur majeur sur le marché des semi-conducteurs qui fournit notamment des machines de lithographie, évoque à son tour que cette crise se poursuivra, selon lui, pendant encore deux ans. La principale difficulté réside dans la montée en puissance des chaînes de production. Il faudrait en effet rattraper le retard cumulé tout en répondant à une forte demande et donc augmenter considérablement la production.
Les fabricants de composants ont fortement investi pour augmenter leurs capacités de production en créant de nouvelles usines : Global Foundries va construire une usine à New York, Samsung va ouvrir un site de production au Texas, Intel va s’installer dans l’Ohio et a annoncé un plan d’investissement historique en Europe (jusqu’à 80 milliards d’euros sur 10 ans). Mais certaines de ces usines ne seront prêtes qu’à partir du premier semestre 2023 et d’autres pas avant 2024 !
Pour le vieux continent, il y a urgence à renforcer le plus vite possible ses capacités de production de microprocesseurs. L’Europe a pris conscience que les microprocesseurs sont partout et a défini une politique industrielle ambitieuse avec le « Chips Act ». La Commission a annoncé une enveloppe budgétaire de 43 milliards d’euros pour doubler la part de l’Union Européenne dans la production mondiale de puces. Il s’agit de passer de 9 % actuellement à près de 20 % d’ici 2030.
Une hausse de prix
La pénurie provoque naturellement l'augmentation des prix. S'ajoutent à cela la hausse des coûts grandissante des matières premières nécessaires aux procédés de production. De même, les coûts du fret ont aussi augmenté significativement, ce qui a impacté le prix de vente des puces. Les fabricants de semi-conducteurs répercutent naturellement cette inflation auprès de leurs clients. TSMC, le géant taïwanais numéro un du semi-conducteur, annonce ainsi une hausse entre 10 % et 20 % de ses prix. Le secteur des télécoms a souffert d’un doublement du cours du cuivre et d’un triplement du cours de l’étain depuis le début de l’année 2020. Entre janvier 2021 et janvier 2022, la hausse des coûts (hors transport) sur les terminaux téléphoniques est estimée à 45 % et à 55 % sur les systèmes hardware.
Des problèmes de logistique mondiaux touchent tous les secteurs
Les crises s’enchaînent également pour la chaîne logistique. Alors que 90 % du commerce mondial s’effectue par les mers d’après l’Organisation maritime internationale (OMI), la pandémie et ses conséquences économiques ont détraqué le transport maritime : des marchandises s’accumulaient d’un côté du globe, sans moyen de les transporter tandis qu’un embouteillage de bateaux vides se créait de l’autre côté de la planète. Les délais de livraison se sont allongés, passant de 5 semaines entre la Chine et l’Europe en 2019 à 2 mois et demi, début 2022, avec un temps de décharge étendu à plus de 40 jours contre 7 à 10 jours auparavant. Conséquence : les coûts d'expédition ont explosé et ont été multipliés par 7. Si en 2019, il fallait débourser 2 000 dollars (tarif public) pour le transport d’un conteneur de 40 pieds entre Shanghai et les États-Unis, le coût est aujourd’hui de 15 000 dollars ! Et pour ne rien arranger, le moindre événement vient aggraver la situation comme le porte-conteneurs Evergreen qui avait bloqué le canal de Suez, la fermeture du port de Shenzhen pendant un mois à cause de quelques cas Covid ou encore les typhons dans la région de Shanghai. Depuis fin mars, la ville de Shanghai est de nouveau entrée dans une phase de confinement total pour contrôler la propagation croissante du coronavirus. Cette « fermeture totale » vient accentuer les pressions sur la chaîne d’approvisionnement mondiale, Shanghai traitant environ 1/5 du volume portuaire chinois.
De la même façon, selon le benchmark des taux du fret routier européens publié par Ti et Upply, les prix du transport routier de marchandises ont atteint au 3ème trimestre 2021 des sommets historiques dans toute l’Europe, sous l’effet conjugué d’une croissance économique robuste, de l’engorgement des supply chains, de la hausse des coûts et de la rareté des capacités. En France, il manquerait environ 15 000 routiers, sans oublier la pénurie d’opérateurs et préparateurs de commandes. En cause également, la hausse vertigineuse du prix du pétrole. Le prix du baril qui s'élève à 102 € ce 9 mai 2022, a atteint un pic en mars à 120 €. Avant la guerre en Ukraine, le cours du pétrole oscillait aux alentours des 70 €.
Le monde de l'impression touché par des pénuries
Pour les mêmes raisons, les livraisons globales de copieurs et d'imprimantes ont chuté de plus de 5 millions d'unités entre juillet et septembre 2021 selon IDC. Impacté par la pénurie de composants et des problèmes logistiques, les fabricants ne parviennent pas à satisfaire la demande. Selon Infosource, les ventes de copieurs et MFP en France ont reculé de 21 % au 4ème trimestre 2021 par rapport à la même période 2020. Le repli se poursuit au 1er trimestre 2022 puisqu’on enregistre là aussi une diminution de 13 % des ventes par rapport au 1er trimestre 2021 (cf note de conjoncture EBEN). Ainsi, on constate une baisse des ventes en volume 18 % entre 2021 et 2020 (-5 % entre 2020 et 2019 puis -13 % entre 2021 et 2020), soit une chute de plus de 97 000 unités.
D’après les entreprises adhérentes du SNESSII (Syndicat National des Entreprises de Solutions et Systèmes d’Information et d’Impression), ces coûts devraient augmenter en moyenne de 67 % pour le prix des matières premières, de 8 % pour le prix des composants électronique et de 9 % pour le coût du fret.
La hausse exponentielle des prix du papier
Les distributeurs de papeterie – fournitures de bureau et les imprimeurs numériques –reprographes sont eux aussi impactés par la hausse vertigineuse des prix. La pâte à papier flambe, on enregistre une hausse de 82 % entre septembre 2021 et février 2022. La guerre en Ukraine vient accentuer ces pénuries et hausses de prix. Il s'agit d'une industrie très énergivore, les machines qui permettent de sécher la pâte à papier sont ultra gourmandes en gaz. Ainsi, le prix du papier couché a doublé en moins d’un an (700 €/T à 1 400 €/T), la tonne de papier journal est passée de 500 à 1 000 € la tonne, la hausse est de 70 % pour le papier offset et 180 % pour le carton.
Mais il y a aussi un changement beaucoup plus structurel. Les capacités de production de papiers graphiques ont largement diminué en Europe : 4 millions de tonnes en 2000 à un peu plus de 1 million aujourd’hui. Face à la baisse structurelle de la consommation de papier, les industriels ont fait le choix stratégique de fermer des usines ou de réorienter les lignes de production vers les secteurs les plus porteurs. Ainsi, portée par l’essor du e-commerce et la vague anti plastique, la demande en emballage ne cesse d’augmenter. De même, la demande en papier est très forte pour les marchés de l’hygiène et des masques.
Les grèves persistantes sur certains sites de production (usine UPM en Finlande notamment) ne viennent qu’aggraver ce déséquilibre entre l’offre et la demande.
A cela s’ajoutent les hausses de prix sur les encres, peintures, vernis, colles, énergies, … Les entreprises du secteur sont donc confrontées à un manque de visibilité sur les délais de livraison et sur les prix, ce qui complique le chiffrage des marchés à venir et la répercussion de ces hausses de prix sur leurs propres tarifs.
A la demande de plusieurs organisations professionnelles dont la Fédération EBEN, le Premier Ministre a publié le 1er avril une circulaire incitant les collectivités locales et les établissements publics à suivre les recommandations suivantes :
- L’application de la théorie de l’imprévision aux contrats publics avec le versement d’une éventuelle indemnité au cocontractant de la personne publique,
- Le gel des pénalités contractuelles dans l’exécution des contrats de la commande publique,
- La possibilité de modifier les contrats en cours d’exécution lorsque ces modifications sont nécessaires à la poursuite de leur exécution,
- L’insertion d’une clause de révision des prix dans tous les contrats à venir,
- Le traitement des difficultés dans les contrats privés.
Malgré ces recommandations, il semble compliqué de répercuter toutes ces augmentions sur les clients. Dans un secteur déjà fragilisé, les entreprises doivent rogner sur leurs marges.
Le secteur du mobilier de bureau impacté
Le secteur du mobilier de bureau n'est pas en reste puisque les tarifs des matières premières flambent aussi : + 116 % pour le bois, + 172 % pour l'acier et + 65 % pour la mousse.
Vos témoignages :
• Laurent PROY, Président de l'UFIPA et Directeur général du groupe ALKOR :
« L'absence de répercussion de ces différentes hausses vers les clients finaux, et surtout vers les acteurs publics, aura pour conséquence, à court et moyen terme, de fragiliser davantage nos entreprises, déjà déstabilisées par la situation sanitaire sans précédent que nous avons connue les deux dernières années. Par conséquent, les administrations, les collectivités et l'État ont un rôle prédominant à jouer pour le maintien de l'ensemble des filières et plus généralement, du commerce. »
• Marie CORNIÈRE, Directrice générale de COPY TOP :
« Ce qui est le plus difficile pour l'impression numérique concerne la pénurie de papier qui est notre matière première indispensable. Chez COPYTOP, nos 120 vendeurs consultent quotidiennement la liste des ruptures papiers et les produits de substitution pour s'adapter et répondre aux demandes des clients : les demandes de communication de nos clients sont souvent dans l'urgence et dans des timings très précis pour un événement spécifique... Si nous n'avons pas la matière, le client annule ou modifie son projet de communication en réduisant son ampleur... Ce n'est jamais du CA décalé mais perdu !
Les augmentations des prix du papier sont tellement énormes que l'on est obligé d'augmenter nos tarifs sur l'ensemble de nos prestations pour ne pas trop perdre en marge : tous les acteurs sont concernés et remontent progressivement les prix. »
• Bruno PEYTAVI, président du collège « Impression » de la Fédération EBEN et PDG de la société ELIT SOLUTIONS :
« Avant ces problématiques de logistique mondiales, nous pouvions livrer sous 10 jours. Aujourd'hui, ce sont plusieurs mois de délais pour assurer les livraisons. La profession a su faire preuve de résilience et les clients de patience durant cette première période délicate. En revanche, si cette situation perdure, inévitablement, nous serons rapidement confrontés à des hausses tarifaires, des tensions au niveau de la trésorerie et nous devrons impérativement revoir notre gestion des achats et notre politique commerciale. »
• Frédéric ARCHIMBAUD, Directeur commercial de MITEL FRANCE :
« Depuis le début de la pandémie, nous devons effectivement faire face à des pénuries de composants et à des défis en matière de logistique, comme l'ensemble des acteurs du marché des communications d'entreprise. L'un de nos atouts réside dans le fait que la plateforme logistique européenne de Mitel est basée en France, en Bretagne pour être précis, avec des équipes d'une grande efficacité qui nous permettent de minimiser les risques de ruptures d'approvisionnement et de retard de livraison pour nos clients. La gestion de la Supply Chain n'a jamais été plus critique qu'aujourd'hui. »